Chimie organique, chimie de coordination, chimie des matériaux, Roger Guilard sait associer avec brio recherche fondamentale et recherche technologique pour comprendre, agir et améliorer. Rencontre avec un érudit de la chimie bio-inspirée.
Vous avez reçu le Grand Prix Emile Jungfleisch de l’Académie des Sciences. Ce prix est destiné à récompenser un scientifique ayant effectué ses travaux dans un laboratoire français dans le domaine de la chimie organique ou biochimie. Quels projets comptez-vous financer grâce aux 120 000 euros ?
La subvention associée au Grand Prix Emile Jungfleisch permettra de développer des matériaux hybrides à base de dioxyde de titane pour la photoréduction catalytique du dioxyde de carbone. En clair, lorsque la cheminée d’une usine rejette du CO2, il s’agit de séquestrer ce CO2 et de le réduire in situ en produit à haute valeur énergétique, soit transformer un produit polluant en ressource énergétique. C’est un projet sur le long terme. L’enjeu est international et beaucoup de laboratoires dans le monde s’investissent dans ce domaine. Un autre objectif, sur le court terme cette fois, vise à appliquer ce type de procédé à la chimie de spécialité. Nous tentons de rendre moins coûteux certains procédés notamment en mettant en œuvre une réaction photocatalytique. Cette recherche permet d’aller vers un transfert technologique économiquement plus rentable. Le Grand Prix Emile Jungfleisch est une aide non négligeable. Il faut également souligner le support récurrent de l’Université de Bourgogne et du CNRS ainsi que l’aide considérable de la Région. Grâce en particulier à l’aide de la Région, nous avons pu acquérir les équipements des plus modernes. Nous bénéficions ainsi d’une infrastructure remarquable pour effectuer les travaux de recherche à l’UB, de même niveau voire supérieure à celles des plus grandes universités françaises.
Pouvez-vous évoquer les problématiques et objectifs de vos travaux ?
Mes travaux s’inspirent du fonctionnement du vivant. La chimie bio-inspirée tente de mimer le vivant afin de transposer ses mécanismes d’intervention à la chimie de synthèse. Dans le cadre de mes travaux avec le groupe international « Air Liquide », j’ai élucidé des mécanismes d’interaction de l’oxygène avec certaines hémoprotéines. Ces travaux ont permis d’imaginer des procédés d’ultrapurification et de détection des gaz mais également de séquestration des métaux lourds. Un exemple concret : ce procédé permet l’élimination des traces de plomb dans l’eau.
En chimie comme dans les autres domaines de recherche, il convient en effet d’identifier toutes les retombées de ses propres travaux. Ainsi ce principe de séquestration des métaux lourds s’est révélé efficace dans le domaine de l’imagerie médicale (notamment pour les IRM). Mon intérêt pour le transfert technologique m’a conduit à contribuer à la création d’une première Start Up, Chematech, afin de concrétiser ces découvertes.
J’ai lancé une 2e Start Up récemment, PorphyChem. Elle vise la commercialisation et les travaux de recherche en commun concernant la chimie des porphyrines. Ces molécules existent à l’état naturel. Présente dans l’hémoglobine, la porphyrine intervient dans les fonctions respiratoires de l’homme. Elle participe aussi grandement à la photosynthèse des plantes car présente dans la chlorophylle.
Ces composés constituent de remarquables modèles car le monde vivant et ces molécules en particulier sont capables de transformer l’énergie solaire en carburant. Ainsi en copiant le vivant, nous pouvons inventer de nouveaux catalyseurs (substance qui accélère la vitesse de réaction chimique) capables de reproduire les propriétés structurales et fonctionnelles des sites actifs des enzymes. Nous améliorons les performances technologiques dans les domaines de l’environnement, de la santé et de l’énergie. Mettre en œuvre des porphyrines permet de réaliser les projets évoqués précédemment, de contribuer au développement durable, mais également d’intervenir dans le traitement des cancers par photothérapie, etc.
D’autres projets innovants sont-ils en cours de réalisation ?
Depuis deux ans, je suis associé aux travaux de recherche du laboratoire LARS (Ligament Augmentation & Reconstruction System) à Arc-sur-Tille. Il s’agit ici de chimie des matériaux. Cette société est spécialisée dans la conception et la fabrication d’implants ligamentaires artificiels pour la chirurgie orthopédique du genou et de l’épaule occupant un marché de niche dont elle est le leader mondial. LARS travaille sur une nouvelle gamme de ligaments bioactifs grâce au greffage d’un polymère sur le ligament. Ce polymère développe la prolifération des cellules qui accélère l’adhérence du ligament et donc la guérison du patient. Ce projet est actuellement au stade des essais cliniques.
LARS vise aujourd’hui un ligament « 4e génération » qui se dégraderait au cours du temps, ce qui signifie à terme la disparition du ligament artificiel dans le corps du patient. Lier la recherche fondamentale à la recherche appliquée est aujourd’hui primordial : dans le cas de LARS deux nouveaux laboratoires de chimie ont été créés et trois ingénieurs viennent d’être recrutés dont deux d’entre eux ont effectué leurs études à l’Université de Bourgogne.
Plus d’infos :
Roger Guilard, prix 2013 Émile Jungfleisch de l’académie des sciences
Laboratoire ICMUB
Chematech
PorphyChem