Alexandre Roquain découvre un ouvrage ayant appartenu au fondateur de la Comedia Nueva. Document rare, il permet de recomposer un morceau d’histoire.
« Je suis parti à la quête de l’Ex-Libris. Grâce à ces annotations, nous pouvons découvrir un grand nombre d’informations sur les lecteurs des siècles passés », s’enthousiaste Alexandre Roquain, enseignant-chercheur au département d’Espagnol à l’université de Bourgogne (A.T.E.R).
L’Ex-Libris, ce sont les commentaires, phrases soulignées et autres dessins, apposés sur les livres par leur possesseur. Autant d’indices pour identifier les lecteurs d’autrefois – clergé, ecclésiastiques, nobles…
Le chercheur s’intéresse aux ouvrages des XVIe et XVIIe siècles, et tout particulièrement aux auteurs espagnols dont il apprécie le verbe. « J’avais l’intuition et l’espoir qu’un jour, en fréquentant les bibliothèques municipales de province, je découvrirais un trésor. Je me disais : un jour je trouverai peut-être la signature d’un duc ou d’un comte… et même pourquoi pas un livre annoté par Cervantès ou Lope de Vega… Mais ça, c’était un rêve ! ».
Le rêve est devenu réalité.
« Des trésors dans les bibliothèques de province »
A partir des bases de données des bibliothèques municipales, Alexandre Roquain mène l’enquête sur les ouvrages possédant des annotations, signatures ou preuve de don.
D’abord à la bibliothèque municipale du Mans (Louis-Aragon) où il découvre, étonné, que les lecteurs français de l’Ouest de la France lisaient des auteurs espagnols, puis à Dijon et à Lyon. « Il y a des trésors dans les bibliothèques de province. En cherchant dans la base de données des Ex-Libris de Lyon, je tombe sur une signature de Lope de Vega. Grande surprise, tension, émotion, tout est mélangé ! Beaucoup de questions aussi : Cette signature avait-elle été analysée? Dans le monde de la recherche, elle est totalement inédite ». C’était à l’automne 2013.
« J’ai tout de suite reconnu son écriture »
Des vérifications s’ensuivent pour prouver que ce livre a réellement appartenu au dramaturge. « Dès que j’ai observé les annotations, j’ai reconnu immédiatement l’écriture de Lope : des lettres capitales très caractéristiques que j’avais déjà repérées dans d’autres documents autographes, le Z en hauteur, le point du i. A ce moment là, je prends un plaisir indescriptible à le feuilleter ».
Grâce à cet ouvrage singulier, l’enquêteur littéraire met en lumière une période de la vie du dramaturge espagnol du siècle d’or. Ce livre a été offert par Mateo Vázquez de Leca, le secrétaire du roi Philippe II.
« Dans la signature de Lope de Vega, il y a un Y avant le L de Lope. On peut affirmer qu’il a reçu le livre entre 1588 et 1595, années durant lesquelles il était marié avec sa première femme, Ysabel. Cette précision de datation est unique ! Par ailleurs, le spécialiste a pu prouver que le livre de Lope de Vega se trouvait dans la bibliothèque du secrétaire de Philippe II.»
« Je pense que »
Et si cet ouvrage avait influencé la pensée de Lope ? Une manière de comprendre que les livres que nous lisons font ce que nous devenons…et ce, depuis des siècles.
Ce traité en italien, Il gentilhuomo de Muzio Giustinopolitano, date de 1571. Il semble avoir guidé le dramaturge vers une conception toute nouvelle de la noblesse.
« En 1605, Lope de Vega apparaît devant un public de nobles à l’occasion de la naissance du roi Philippe IV. Ce jour là, Lope est acteur de sa poésie. Il fait une révérence, s’assoit et décline 300 vers dans lesquels il nomme Muzio Giustinopolitano.
Il va se permettre de dire « Je pense que », inédit à l’époque et exprime sa propre définition de la noblesse. Il cite Muzio en disant que la vraie noblesse est la vertu. Par ailleurs, Lope affirme que c’est la réunion des armes et des lettres qui rend noble ».
L’Ex-Libris, simple annotation, apporte des connaissances nouvelles sur la vie du poète fondateur de la Comedia nueva ou tragi-comédie à l’espagnole. « Lope de Vega a révolutionné le théâtre. Il met en scène les passions humaines. Chacun de ses mots est ambigu. Avec lui, nous sommes dans l’indécidabilité. Il offre deux possibilités de compréhension sous un même mot sans que l’on puisse trancher », raconte Alexandre Roquain, fasciné.
Alexandre Roquain n’arrêterait pas d’en parler et le rédacteur de cet article ne cesserait d’écrire tant il y a des choses à dire sur « le Phénix des beaux esprits ».
Plus d’infos sur l’ouvrage « Más allá del exlibris Lope de Vega y Mateo Vázquez de Leca